CONCLUSIONS DE L’ÉTUDE

Documentation pour les mécanismes de justice transitionnelle

Vous trouverez ci-dessous les principales conclusions de la recherche du PILPG explorant la collecte par la société civile de documents destinés à être utilisés dans les mécanismes de justice transitionnelle (tels que les commissions de vérité, les autorités chargées des réparations, les systèmes d’enquête internationaux et les cours et tribunaux internationaux, mixtes et nationaux).

Pour cette étude, le PILPG a mené des entretiens avec 15 experts en justice transitionnelle et a organisé trois groupes de discussion. Des conclusions détaillées ont été rédigées pour ce site.

Conclusions

01.

Obstacles à l’utilisation efficace de la documentation dans les mécanismes de justice transitionnelle


En examinant la question de l’utilisation efficace de la documentation sur les violations des droits de l’homme à des fins de justice transitionnelle, l’étude a révélé les obstacles potentiels suivants :

  • Les exigences en matière de gestion des preuves par les mécanismes de justice transitionnelle peuvent empêcher d’admettre comme preuve la documentation effectuée par les acteurs de la société civile.
  • Les grands volumes de données à gérer lorsqu’on travaille dans le cadre de processus de justice transitionnelle, tant pour les enquêteurs et les documentalistes que pour les mécanismes de justice transitionnelle.
  • Les sérieuses préoccupations en matière de sécurité des données et des personnes impliquées , qui doivent être gérées avec discernement. Les outils informatiques pouvant à la fois atténuer et amplifier ces risques, ils doivent être déployés avec précaution.

Respecter les standards en matière de preuve


Pour les mécanismes de justice transitionnelle qui acceptent les données ou les preuves des acteurs de la société civile, certaines règles doivent être respectées pour que ces données soient admissibles comme preuves contre un accusé au tribunal. Les tribunaux pourraient se montrer indulgents dans leur décision, mais le poids accordé à l’analyse de ces preuves varie en fonction de leur conformité aux exigences susmentionnées. Pour qu’elles soient admises et qu’on leur accorde un poids suffisant, les tribunaux examineront les circonstances relatives au consentement éclairé des témoins, à l’authenticité des données et à l’historique de la conservation de ces données collectées.

Les difficultés d’admissibilité se manifestent tout au long du cycle de vie des données, comme le montrent les exemples ci-dessous :


Collecte

: Les participants à l’étude citent la fiabilité des informations en tant que preuves tangibles comme étant leur préoccupation majeure. Ils évoquent l’opacité du traitement des données jusqu’au moment de leur transmission à un mécanisme de justice transitionnelle. C’est particulièrement important alors que la technologie en perpétuelle amélioration favorise la création de vidéos « deepfake » et la diffusion de contenu fabriqué.

  • Pour répondre à ces difficultés, plusieurs participants ont parlé de l’importance de recueillir les métadonnées (voir le tableau des outils pour pour connaître ceux qui le font automatiquement) afin de vérifier l’authenticité des images ou des vidéos.
  • Les autres préoccupations relatives à la collecte de données concernent les méthodologies pour recueillir les déclarations des témoins, en particulier leur manque de standardisation et de procédures de consentement éclairé. Plusieurs participants se montrent optimistes quant à la capacité des nouvelles technologies, et de la formation continue des acteurs de la société civile, à répondre aux préoccupations majeures autour de la fiabilité des informations et des procédures de collecte des déclarations de témoins.


Traitement des informations et stockage

La documentation des Traçabilité des preuves est une composante essentielle du respect des règles applicables aux éléments de preuve. Bien que les exigences spécifiques en la matière diffèrent selon les juridictions, pour s’assurer que les données résistent à l’examen minutieux des tribunaux et des cours, les auteurs de documents doivent employer des processus rigoureux de stockage et de traitement des données.

  • Les participants ont exprimé leurs inquiétudes quant à la capacité des documentalistes à stocker et à traiter les données de façon à répondre aux exigences de l’historique de conservation (rendant ainsi les données plus susceptibles d’être acceptées comme preuves). Les participants de l’étude soulignent également que le chiffrement de l’espace de stockage constitue une méthode essentielle pour enregistrer l’historique de conservation des preuves.


Transmission

L’enquête révèle qu’il n’existe pas de méthode unique et standardisée permettant aux enquêteurs et documentalistes de la société civile de transmettre des informations sur les violations des droits de l’homme aux mécanismes de justice transitionnelle.

  • En général, les données sont envoyées aux mécanismes de justice transitionnelle sous la forme de fichiers chiffrés. Cependant, la recevabilité des données dépend des modalités spécifiques de cette opération. En particulier, un participant indique que la protection des métadonnées pendant la transmission est cruciale pour l’admissibilité des vidéos et des images en tant que preuves.

Gérer de grands volumes de données


La transition des méthodes traditionnelles (notes sur papier) vers des méthodes modernes et technologiques de collecte d’informations entraîne une augmentation de la taille des données brutes à gérer et à analyser. Cela soulève des questions tant pour les auteurs de documents sur les droits de l’homme que pour les mécanismes de justice transitionnelle.

Les difficultés posées par les grands volumes de données se manifestent tout au long du cycle de vie des données, comme le montrent les exemples ci-dessous :


Traitement des informations et stockage

De nombreux participants à l’étude font part des difficultés que représente le volume considérable des dossiers papier utilisés pour la gestion des données collectées.

  • Le temps nécessaire à la numérisation de ces dossiers étant élevé, certains participants recommandent d’utiliser directement des outils informatiques au moment de la collecte afin d’éliminer cette étape de numérisation des dossiers papier. Cependant, d’autres relèvent la nécessité d’adopter une approche centrée sur les victimes parfois sceptiques à l’égard de la technologie.
  • Plusieurs personnes soulignent la nécessité pour les mécanismes de justice transitionnelle d’être en mesure de collecter les informations reçues de diverses sources et de les stocker ensuite en un seul endroit. Certains participants ayant de l’expérience dans la gestion des informations sur les droits de l’homme observent qu’il n’existe pas de méthode ou de technologie standard pour recueillir et stocker toutes les informations disponibles. Parmi les méthodes courantes actuellement utilisées, citons la numérisation de documents physiques au format PDF, la sauvegarde locale de vidéos, d’images et de fichiers audio en ligne et le téléchargement de notes informatisées vers un dossier centralisé.


Analyses

Les participants notent l’intérêt des outils automatisés face au volume élevé de données gérées.

  • Par exemple, la reconnaissance optique de caractères (ROC) est citée comme un outil pouvant permettre aux mécanismes de justice transitionnelle de rechercher et de cataloguer des noms, des lieux, des dates et d’autres éléments de données pertinents.
  • Les outils de traitement automatique du langage naturel (TANLP) sont aussi mentionnés dans l’étude. Il a toutefois été souligné qu’ils sont actuellement mal adaptés au traitement des données sur les violations des droits de l’homme, du fait de leur manque de maturité pour de nombreuses langues parlées par les populations persécutées.


Transmission

Un participant à l’étude souligne que la possibilité de sélectionner et de transmettre des éléments spécifiques, plutôt que dans l’ensemble du jeu de données, s’avère particulièrement utile pour réduire les contraintes liées à la taille du jeu de données.

Sécurité des personnes et des données


La dernière difficulté commune émergente concerne la garantie de la sécurité des données et des personnes. Les participants expriment leurs inquiétudes en particulier pour les victimes, les témoins, les enquêteurs et les documentalistes possédant des vidéos, des images et des notes relatives à des atrocités sur leurs appareils.

Les participants estiment que la mise en œuvre de haut niveau de sécurité et la garantie de l’anonymat des victimes, témoins, enquêteurs, documentalistes et autres acteurs sont nécessaires pour tout outil numérique utilisé dans un contexte de documentation sur les droits de l’homme.

Cette question se pose tout au long du cycle de vie des données, comme le montrent les exemples ci-dessous :


Collecte

Tant les victimes que les enquêteurs sont exposés à des risques de sécurité à l’étape de la collecte des données, et les participants sont divisés quant à la méthode la plus sûre pour recueillir les données.

  • Lors de l’examen des déclarations des témoins, ceux qui privilégiaient la sécurité informatique considéraient les notes écrites sur papier comme une méthode plus sûre pour limiter le potentiel de cyberattaques et de violations de la cybersécurité.
  • Les personnes plus préoccupées par les menaces à l’encontre de leur sécurité résultant de la possession de déclarations de témoins recommandaient la gestion informatique de la documentation afin de limiter leur ’exposition.


Stockage

Les participants à l’étude ont noté que tant les personnes stockant les données que les personnes identifiables dans les données pourraient être en danger à l’avenir, même si le risque immédiat au moment de la collecte est limité.

  • Pour des raisons à la fois de validité des preuves et de sécurité, les participants ont considéré que le stockage sécurisé des données était fondamental pour toute technologie de documentation par la société civile, et beaucoup ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’utilisation du stockage sur le cloud.


Transmission

La plupart des participants ont souligné que la transmission des données était un autre moment où le risque augmente pour les documentalistes, les victimes, les témoins et les données elles-mêmes.

  • Un participant à la recherche a noté que certains documentalistes déclinent les invitations à transmettre des informations probantes en raison de menaces à l’encontre de leur intégrité physique associées à la révélation de leur coopération avec un mécanisme de justice transitionnelle.
  • Presque toutes les personnes interviewées ont identifié la capacité de chiffrer la messagerie comme étant essentielle à la fois pour des raisons d’historique de conservation des preuves et de sécurité.

Observations supplémentaires


Au-delà des principales difficultés explorées ci-dessus, plusieurs participants à l’étude ont également fait part d’observations supplémentaires pour le développement de la technologie de documentation sur les droits de l’homme à l’usage des documentalistes de la société civile dans la poursuite de la justice transitionnelle.

Consultez le rapport complet pour en savoir plus sur ces observations, notamment :

· Le champ d’application approprié des outils informatiques
· Un appel à une vision plus large que celle des institutions de justice pénale internationales
· Les barrières créées par le manque d’accès aux smart phones et à l’Internet
· La nécessité pour les technologies d’être faciles à utiliser, en particulier par les populations parlant une multitude de langues différentes

Consultez les conclusions de l’étude sur le Développement d’outils