RESSOURCES POUR LES DOCUMENTALISTES
Traçabilité des preuves
Cette section a pour but de fournir aux documentalistes en matière de droits de l’homme des conseils sur la traçabilité des preuves (principe de « Chain of custody »). Elle a été rédigée par PILPG .
Qu’est-ce que le principe de Chain of Custody ?
Il s’agit d’un concept juridique relatif au « parcours » effectué par un élément de preuve depuis sa collecte jusqu’à sa présentation au tribunal : on parle d’historique de la conservation des preuves. Au fil de ce parcours, l’élément de preuve est partagé avec d’autres personnes, et le respect de son intégrité est essentiel pour garantir à l’accusé un procès équitable.
Un suivi de traçabilité de preuves adéquat garantit que les preuves utilisées contre l’accusé n’ont pas été manipulées ou trafiquées, ou que lorsqu’elles sont présentées, elles sont dans le même état que lorsqu’elles ont été recueillies pour la première fois. Plus précisément, il s’agit de l’enregistrement séquentiel de la conservation, du contrôle, du transfert, de l’analyse et de la distribution des éléments.
En d’autres termes, la traçabilité de ces éléments permet de prouver leur authenticité et leur fiabilité. Pour qu’un élément d’information ou un objet puisse être utilisé comme preuve, le suivi de la traçabilité doit rester intact et les enregistrements doivent être disponibles en cas de besoin. Elle garantit à la fois au tribunal et à toutes les parties concernées que la preuve n’a pas été altérée.
Dans la documentation en matière de les droits de l’homme, cette traçabilité comprend :
- L’emplacement d’un élément d’information (y compris les informations documentaires, médico-légales et testimoniales) depuis le moment où il est collecté jusqu’à ce qu’il soit présenté au procès ;
- La liste des personnes ayant traité l’élément d’information au cours de cette période.
- La raison pour laquelle elles/ils l’ont fait. (L’ont-elles/ils analysé? L’ont-elles/ils transféré ?).
Pourquoi est-ce important d’enregistrer l’historique de conservation ?
Un historique de conservation parfait n’est pas toujours nécessaire pour que les données soient admises. Cependant, elle renforce le crédit accordé aux preuves admises par les juges.
Elle renforce la valeur probante des informations. La valeur probante est un concept juridique qui décrit la mesure dans laquelle un élément d’information tend à prouver quelque chose de matériel sur le crime ou délit présumé. Un élément de preuve a une valeur probante et est fiable lorsque la preuve est « volontaire, véridique et digne de confiance ».
Conserver l’historique de la conservation des preuves numériques
Aux origines des enquêtes et de la documentation, les enquêteurs joignaient à chaque élément de preuve des « registres de preuves » ou des formulaires d’historique de la conservation. Ces documents permettaient de consigner chaque personne ayant manipulé, analysé ou modifié la preuve de quelque manière que ce soit. Vous trouverez un exemple de formulaire dans la section 15 du guide pratique de documentation (en anglais) du PILPG .
De plus en plus, les auteurs, les victimes et les témoins de violations graves des droits de l’homme créent, stockent ou partagent des informations et des preuves sous forme numérique plutôt que sur papier. Les preuves numériques peuvent être définies comme « des informations transmises ou stockées dans un format numérique utilisable par une des parties lors d’une procédure »¹. Elles peuvent se présenter sous diverses formes, notamment :
- Métadonnées
- Témoignage audio et vidéo enregistré
- Photographie numérique
- Documentation vidéo
- Courriel et communication en réseau
- Messages ou communication par SMS
- Messages publiés sur les réseaux sociaux ou les plateformes de diffusion d’informations.²
Comme tout autre type d’information présentée au tribunal en tant que preuve, les informations numériques seront soumises à un examen minutieux pour déterminer leur valeur probante. Bien que les précédents soient encore en cours d’élaboration concernant les normes d’admissibilité des preuves numériques dans les tribunaux internationaux, quelques tribunaux ont offert des conseils qui s’alignent sur les normes relatives aux preuves physiques. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ( TPIY ), par exemple, a noté que la preuve de paternité d’une œuvre revêt toujours « la plus grande importance dans l’évaluation par la Chambre de première instance du poids à accorder à chaque élément de preuve ».³
Les tribunaux ad hoc (tel que le TPIY) ont généralement favorisé la corroboration des preuves numériques par des indicateurs externes tels que le témoignage d’un expert ou des preuves de types multiples.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), par exemple, a jugé que les annonces radio appelant à la capture des Tutsis étaient authentiques après qu’un témoin expert spécialisé a témoigné qu’après diffusion de les annonces, les gens recherchaient activement les Tutsis. Deux autres témoins ont corroboré le témoignage des experts en décrivant les événements qui ont précédé et suivi les annonces.
1. Voir Digital Evidence and Computer Crime, d’Eoghan Casey, 2011. Troisième édition.
2. Salzburg Workshop on Cyber Investigations, An Overview of the Use of Digital Evidence in International Criminal Courts (octobre. 2013) at 1
3. Prosecutor v. Brdanin and Talic, Case No. IT-99-36-T, Order on the Standards Governing the Admission of Evidence, ¶ 18 ( Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie , 15 février 2002).
Les tribunaux n’ont pas toujours partagé des directives précises sur les conditions de recevabilité ’des preuves numériques et la nécessité de l’historique de conservation des preuves. Cependant, les éléments suivants ont été utilisés de façon identique par le TPIY, le TPIR et d’autres tribunaux internationaux :
- Méthode de collecte des preuves employée par les acteurs civils
- Nombre et qualité des sources collectées
- Degré de corroboration entre les acteurs civils
- Degré de neutralité des acteurs civils
- Degré de proximité des acteurs civils envers les preuves à collecter
- Contemporanéité avec les événements, et
- degré de conformité aux exigences procédurales.
Lorsqu’il s’agit d’admettre des preuves numériques (photos ou vidéos), ces données peuvent généralement être authentifiées par des témoignages corroborants. Toutefois, en l’absence d’un témoin présent — très probablement le photographe — pour attester de l’authenticité de la photo, il existe d’autres éléments que les tribunaux peuvent prendre en compte. Les documentalistes peuvent, par exemple, authentifier les photos ou vidéos qu’ils souhaitent soumettre comme preuves en y intégrant des métadonnées.
Les métadonnées sont des informations qui décrivent une ressource numérique par certaines de ses caractéristiques de base, telles que son créateur et la date de sa création. Elles peuvent être créées à l’extérieur de la ressource qu’elles décrivent, ou être automatiquement intégrées à la ressource. Une méthode courante de création manuelle de métadonnées consiste à remplir un formulaire, par écrit ou électroniquement, en utilisant des catégories et des termes prédéfinis.
Les métadonnées sont essentielles, car elles permettent de vérifier la fiabilité des données présentées, en prouvant qu’elles correspondent bien aux déclarations. L’horodatage d’une photo ou d’une vidéo, par exemple, permet de vérifier que l’image ou l’enregistrement a été pris à l’heure annoncée.
Plus d’informations sur l’historique de conservation des preuves
- La Cour Pénale Internationale a publié un document intitulé Unified Technical Protocol, or “E‐court Protocol,” et propose aux documentalistes et aux enquêteurs des consignes sur les critères à respecter pour que les données numériques soient admises comme preuve devant la Cour. Le protocole exige que des métadonnées soient jointes, notamment l’historique de conservation par ordre chronologique, l’identité de la source, les informations sur l’auteur et le destinataire d’origine, ainsi que les organisations respectives de l’auteur et du destinataire.
- Découvrez une table ronde de 2022 réunissant des experts sur l’utilisation des preuves numériques devant les tribunaux internationaux, avec les points de vue des procureurs, des défenseurs et d’es universitaires. Elle date de 2022.